Le ton relevé le 12 Novembre 2012 : A3 du prestant grand-orgue = 392Hz à 16°.
La partition se fait sur le Prestant 4' du Grand-Orgue. Elle a été faite selon le plan ci-dessous. Une fois la région de la partition correctement établie et vérifiée plusieurs fois, la copie en octave pour les dessus et pour la basse se fait systématiquement avec vérification d’octave par l’équilibrage des battements de la quinte et de son renversement (la quarte) par la méthode suivante, exemple :
Accord de l’octave F2 / F3 (on accorde Fa2): faire simultanément jouer F2 et F3. Constater l’état de justesse de l’octave puis faire jouer la quinte F3 /A#2. Ecouter et estimer la vitesse des battements. Puis, faire jouer la quarte F2 / A# 2. Ecouter et comparer la vitesse des battements qui doit absolument être égale à celle de la quinte A#2 / F3.
Toutes les octaves ont été accordées ainsi. Chaque jour, durant la période pendant laquelle se déroule l’accord général de l’orgue, la partition a été vérifiée. L’accord général a été commencé seulement lorsque l’état de justesse parfaite du prestant 4p Grand-Orgue a été jugé stabilisé. Cette justesse étant mouvante du fait des variations de l’hygrométrie, ou de la température, il a donc été nécessaire de la vérifier régulièrement.
Fixer le C3 du Prestant Grand-Orgue. Celui-ci a été fixé par rapport au C1 de la Montre de 16p du Grand-Orgue et C1 Montre 8p du Positif qui sont sans fenêtre et construit juste sur le ton selon la règle de Dom-Bedos et les mesures relevées sur l’ancienne façade
Cette partition, à 4 tierces majeures justes, est une simplification de Rameau en Ut. Dans le Rameau, la quinte Do – Fa est à peine plus étroite (fa plus haut) ainsi que D# - G# (G# plus bas) et la quinte C# - G# plus large que pure. La quinte résiduelle G# - Eb reste un peu plus large que pure, mais beaucoup moins que dans le mésotonique intégral.
Malgré les enlèvements de tuyaux décrits ci-dessus pour faciliter l’accès, celui-ci reste difficile. L’accord de cet orgue est donc compliqué, long et physiquement éprouvant. Mais il y a toujours une solution en se tournant d’un côté ou de l’autre, en évitant surtout de faire soi-même écran afin de ne pas perturber ou dériver le ton juste. Il ne faut pas chercher à travailler vite mais plutôt lentement et régulièrement. Se mettre en retrait sur l’espace arrière par rapport à l’orgue pour écouter la justesse, immobile, est parfois, même souvent, nécessaire. La justesse est très sensible aux déplacements de personnes ou aux mouvements de l’harmoniste. Rester à l’intérieur du buffet peut compromettre et fausser l’appréciation de la justesse. L’accord doit se dérouler dans un calme absolu, avec de fréquentes périodes de repos.
Si l’on rencontre trop de difficultés, c’est que l’on fait fausse route. Il faut donc réfléchir calmement, et, avec humilité, imaginer la méthode appropriée. Cet orgue, comme tout ce qui est décrit dans le traité de Dom-Bedos est exigeant, mais si l’on s’en donne la peine, le résultat est très gratifiant, pour le plaisir de tous.
Au Grand-Orgue, pour les deux sommiers des dessus, La Montre 8p, le Prestant 4p, Le dessus du Bourdon 16p, le dessus du Bourdon 32p, la doublette 2p, s’atteignent depuis la plateforme centrale intérieure, devant le récit.
Le dessus de la montre de 16p s’atteint depuis la façade, en se positionnant sur la grande tourelle du positif. On l’accorde par les oreilles pour les tuyaux qui en sont munis, au travers des clairevoies avec une tige et au cône d’accord pour les tuyaux qui n’en ont plus, en passant par-dessus la pièce porteuse de façade et au travers des pieds de celle-ci afin d’atteindre le haut des corps.
Les autres jeux constituant le grand jeu de tierce, s’atteignent également depuis l’intérieur sans difficultés particulières. Les gestes d’intervention pour l’accord doivent être sans aucune violence de manière à ne jamais compromettre la solidité des tuyaux lépreux (principalement ceux d’étain).
La poussière alliée à l’humidité importante de l’église Sainte-Croix forme une pellicule de crasse sur le talus des biseaux des tuyaux des façades, Positif et Grand-Orgue. Celle–ci dénature quelque peu l’harmonisation et les tuyaux ne donnent parfois plus leur fondamentale mais l’octave. Il est donc nécessaire de tous les nettoyer et de vérifier la hauteur des biseaux régulièrement. Une bonne part des tuyaux de la Montre de 16p a pu être atteinte depuis le dessus des tourelles du positif. Pour les autres et la façade du Positif, une nacelle est mise à disposition depuis la nef.
L’harmonie de ces tuyaux a donc été rétablie de manière à ce qu’ils donnent franchement la fondamentale, en tolérant une relative lenteur à l’attaque. Cette attaque à peine lente que l’on appelle aussi « coup d’archet » se résorbe naturellement en mélange avec les autres jeux, c’est l’un des points importants de l’harmonie française de la période classique des jeux que l’on appelle aujourd’hui « les principaux » et qui favorise la fusion des sons constituant le plenum.
L’accord a été fait de la manière suivante :
*Au moindre doute sur l’embouchage d’un tuyau, il est indispensable de vérifier celui-ci. Les tuyaux de pleins jeux sont embouchés de
manière à ce qu’ils ne puissent pas donner l’octave à la surpression. Ils doivent « rouler » ou « vibrer » à la surpression. Ceci implique une
relative lenteur à l’attaque. Si le tuyau donne l’octave à l’attaque et à la surpression il ne sera pratiquement pas accordable avec ses voisins.
Certaines doublures sont rebelles. Il y a deux solutions :
Les difficultés provoquées par certaines doublures proviennent très probablement du fait que deux tuyaux semblables sont « trop semblables » et que, plutôt que de se fondre l’un dans l’autre pour générer un autre son, ils s’opposent en se déstabilisant. C’est pour cette raison que le fait de donner à l’un des deux tuyaux de taille semblable un autre embouchage, permet de résoudre ce problème.
Aussi, sans aller jusque là et en insistant patiemment, on parvient à minimiser le phénomène et le rendre acceptable. On peut alors tolérer un léger frétillement dans le son tenu ce qui contribue à rendre la sonorité générale du plénum plus vivante, plus active.
C’est le plein jeu le plus délicat à accorder. C’est celui qui comporte le plus de tuyaux d’origine de Dom-Bedos. Certains tuyaux lépreux sont encore intègres mais instables et difficiles voir impossibles à accorder. C’est pour cette raison que l’on trouvera dans ce plein-jeu, quelques doublures que nous avons éteintes volontairement.
L’accord se fait sur le Prestant 4p. On peut rajouter la Montre 8p dès que cela devient nécessaire. La procédure est la même que pour le grand-orgue : accorder les doublures séparément et étouffer l’une des deux pour continuer l’accord de l’échelle harmonique. A la fin du processus, on débouche les doublures. Si certaines provoquent d’importants désordres et qu’il s’agisse de tuyaux lépreux, il est préférable de ne pas insister et de les éteindre.
Sur toute l’étendue du clavier, il faut prendre comme base d’accord le Prestant 4p du Grand-Orgue à l’octave supérieur pour la basse et inférieur pour les dessus, exemple :
Accord du C1 :
Et ainsi pour chacune des notes de tout le clavier
On ne rencontre aucune difficulté particulière sauf pour celui de d’écho où l’on constate des bases de pieds lépreuses qui continuent toujours à se dégrader et devront être remplacées au fur et à mesure que l’on contrôlera l’accord de ce Cornet. Si l’on constate un tuyau dont l’accord est anormalement bas, c’est à l’évidence que le pied est lépreux, s’obstrue et provoque ainsi une petite fuite qui fait baisser le régime du tuyau.
Quelques remarques particulières :
Les dessus des jeux de Flûte 8p, 8 pieds en étain, Flûte de 4p ne peuvent être atteints que si l’on sort de l’orgue une grande part de la 2ème et 1ère trompette de pédale, surtout du côté « D » qui est beaucoup plus à l’étroit que le côté « C ».
Pour atteindre les basses de la flûte 8p en chêne, les basses de la flûte de 16p il est nécessaire de grimper en haut du buffet par la grande poutre transversale arrière. On peut ensuite marcher sur le toit qui est suffisamment résistant si l’on n’est pas trop gros. De ce positionnement on peut atteindre toutes les glissières d’accord.
(*) : Pour l’accord du côté « D » l’accès se fait depuis le bas, à l’intérieure du soubassement, en utilisant la grande échelle. Une fois en haut de cette échelle, on glisse la tête entre le sommier des basses du Grand-Orgue et le sommier de pédale, la vue est alors au niveau supérieur des pieds des tuyaux. Les rasettes sont logiquement orientées mais il est indispensable d’avoir une lampe torche pour apercevoir les rasettes les plus éloignées, notamment celles du dessus de la Bombarde 16p.
Remarques complémentaires concernant l’accord des plein-jeux :
Dans la procédure d’accord que j’ai décrite plus haut on pourra m’objecter de ne pas suivre les indications de Dom-Bedos lui-même en ce qui concerne la méthodologie pour l’accord d’un plenum. En effet, celui-ci indique qu’il est nécessaire d’ajouter sous les rangs des pleins-jeux que l’on souhaite accorder la totalité du fond d’orgue (Bourdon 32p, Montre 16p, Bourdon 16p, Montre 8p, Bourdon 8p, Second 8p, Prestant 4p et Doublette).
C’est évidemment ce qu’il y a de mieux à faire surtout si l’étanchéité des sommiers n’est pas tout à fait convenable et qu’il se produit, de ce fait, une dépression dans les gravures. Ce n’est sûrement pas le cas en ce qui concerne les sommiers du Dom-Bedos de Sainte Croix. Ceux-ci, restaurés convenablement, n’accusent aucune faiblesse même avec un grand nombre de registres ouverts. Les doubles gravures qui permettent de répartir équitablement la consommation du vent jouent ici un rôle important. L’accord tel que je l’ai décrit plus haut me paraissait alors possible, plus simple et apparemment peut être plus rapide à réaliser.
Dans ce même chapitre concernant l’accord des plein-Jeux, Dom-Bedos indique aussi une méthode particulière: Pour chaque note, une fois le fond d’orgue parfaitement juste, boucher tous les tuyaux du plein jeu pour les faire taire puis, ouvrir celui du premier rang, vérifier l’embouchage, l’accorder sur le fond d’orgue et le reboucher aussitôt et ainsi jusqu’au dernier rang. A la fin de ce processus on débouche un par un chaque rang et l’accord vient en principe naturellement, de légères retouches sont néanmoins nécessaires. C’est une excellente méthode, sans doute moins fatigante que celle que j’ai décrite dans ce texte.
Pascal Quoirin- facteur d’orgues